Un observatoire des médias pour la crise en Irak
Description du projet
Ce projet propose une démarche de responsabilisation des élèves à l’égard des informations journalistiques transmises par les médias. Il s’agit de la création d’un Observatoire des médias. Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une série de nouvelles activités et de nouveaux projets portant sur " Droits et médias " que le CREM mettra en ligne sous peu à l’intention du personnel enseignant du primaire et du secondaire.
Références au programme de formation de l’école québécoise
Domaines généraux de formation
Médias
Axes de développement
Vivre ensemble et citoyenneté
Axes de développement
Compétences transversales
Domaines d’apprentissage et disciplines
Langues
Français, langue d’enseignement ou langue seconde
Anglais, langue seconde
Univers social
Histoire et éducation à la citoyenneté
Géographie
Développement personnel
Morale
Préparation
Nous vous proposons en guise de préparation de prendre connaissance avec vos élèves du cadre de référence.
Cadre de référence
Le droit du public et des citoyens à l’information requiert que l’information disponible soit diversifiée, plurielle, accessible... et de qualité. La responsabilité du public d’exiger que les médias rencontrent ces standards est primordiale et, pour ce faire, il faut s’informer, lire, analyser et critiquer le travail des médias. Le droit à l’information exige donc, des conditions favorables à son actualisation. Ces conditions sont en définition constantes parce que les situations changent. Au Canada, par exemple, la question de la concentration de la presse pose des défis inédits et la présence accrue d’Internet également. En temps de guerre, plusieurs affirment que l’information est la première victime. Ces situations nouvelles appellent des réponses inédites. Cependant, certains critères incontournables sont bien connus et bien nommés. La table des matières du document Les droits et les responsabilités de la presse produit par le Conseil de presse du Québec, fournit des repères aux artisans des médias et au public tels que :
Réalisation
Nous vous proposons la mise sur pied d’un observatoire des médias pour suivre les tragiques événements qui marqueront la crise irakienne. À partir de cet événement d’actualité, ramasser les informations durant toute sa durée si possible mais au minimum pendant quelques semaines. En effet, la presse couvre l’événement d’actualité mais les analyses et les répliques apparaissent souvent dans les semaines qui suivent. Le droit à l’information s’évalue aussi à partir du suivi que les médias font des événements.
Questions préalables
La première étape pour mettre sur pied votre observatoire des médias consiste à regarder régulièrement les bulletins d’information télévisés à différentes chaînes et à comparer les informations fournies à celles présentées dans les quotidiens, les radio journaux et les sites webs des agences de presse, médias québécois, canadiens et étrangers. Vous pourriez consulter la presse alternative qui présente généralement des points de vue très différents des grands médias écrits et audiovisuels.
Nouvelles télévisées : Les téléspectateurs recherchent la qualité
La fin du journalisme : débat avec Ignacio Ramonet
Les effets de la concentration des médias au Québec : analyse et recommandations Tome1
Les effets de la concentration des médias au Québec : analyse et recommandations Tome2
Intégration
Faites un retour sur les principaux apprentissages faits par les élèves et sur la possibilité d’utiliser ces apprentissages dans d’autres circonstances.
Informations complémentaires
Un Observatoire doit alimenter une réflexion critique sur la qualité et la diversité des informations journalistiques diffusées par les médias aux citoyens et citoyennes.
Ce projet veut assurer le développement de la capacité d’analyse des élèves conduisant à l’élaboration d’une opinion reposant sur un argumentaire de qualité. C’est un projet qui peut être réalisé ponctuellement ou s’étendre sur toute l’année.
Presse alternative
Agence
France-presse
Agence Science-presse
Canada
News Wire
Fédération
des agences de presse
La
Presse canadienne
Reuters
Telbec
Associated
Press
Word News Conection
Ponopresse internationale
Agence science
presse
Extrême
aventure
Centre des études sur les médias
http://www.cem.ulaval.ca
Guide des médias québécois
http://www.vif.com/users/p.desjardins/quotidiens.htm
Médias canadiens
http://www.canoe.qc.ca
http://www.cyberpresse.ca
http://www.ledevoir.com
http://www.matin.qc.ca/indexcyra.html
http://www.nationalpost.com/
http://www.rcinet.ca/
http://radio-canada.ca/nouvelles/
http://radio-canada.ca/jeunesse/
http://archives.radio-canada.ca/index.asp?IDLan=0
http://www.sciencepresse.qc.ca
http://www.southam.com
http://www.voir.ca/bienvenue.asp
http://www.lactualite.com/
http://www.ao.qc.ca/altermedia/bienvenue_altermedia.html
http://www.tv5.org/TV5Site/home/accueil_inter.php?tps=1047933950
Médias du monde (journaux, radios, télévisions,)
Recherche
http://www.presseweb.ch/
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3210--180682-,00.html
http://www.mediaradio.com/fr/
http://www.allyoucanread.com/
http://windowsmedia.com/radiotuner/default.asp
Télévisions
http://www.bbc.co.uk/worldservice/index.shtml
http://www.cablevision-leb.net/chmore.asp?channel=aljazira
Journaux
http://www.lemonde.fr/
http://www.lemonde.fr/recherche
http://www.monde-diplomatique
http://www.oced.org/index-fr/htm
http://www.rsf.fr/
http://www.un.org/french/pagtext.htm
Grille d’analyse des informations journalistiques
Nouvelles télévisées : Les téléspectateurs recherchent la qualité
Source : http://www.cem.ulaval.ca/ObservationsCadre.html
Toute entreprise possédant des stations de télévision et souhaitant que ses actifs prennent de la valeur devrait investir dans la qualité de ses bulletins de nouvelles. C'est le meilleur moyen de maintenir sinon d'augmenter le nombre de ses auditeurs (cotes d'écoute).
Telle est la conclusion d'une analyse conduite par des chercheurs de l'Université Columbia qui, au cours des quatre dernières années, ont attribué une cote de qualité aux bulletins de nouvelles locales de 189 stations de télévision aux États-Unis. Ils ont ensuite analysé l'évolution des cotes d'écoute de ces stations pour l'ensemble de la journée. Les auditoires de 55 % des stations offrant la meilleure information sont en croissance, une proportion nettement supérieure à celles des autres groupes de stations.
De manière plus précise, mais pour un groupe plus restreint de 43 stations, les chercheurs ont mis en relation l'écoute propre aux bulletins de nouvelles et leur qualité. Les résultats sont encore plus probants : 63 % des émissions d'information de qualité A ou B gardent leurs auditeurs ou en gagnent de nouveaux, comparativement à 20 % seulement pour les émissions cotées D (graphique 2).
Pour atteindre la réussite, les auteurs de l'étude proposent les cinq clefs suivantes :
* Donnée non significative pour les émissions cotées E en raison du petit nombre de bulletins (2) ayant obtenu une telle cote.
Source : Rapport du Project for Excellence in Journalism publié dans Columbia Journalism Review, édition de novembre/décembre 2001.
La fin du journalisme : débat avec Ignacio Ramonet
Source : http://acrimed.samizdat.net/bulletin/ramonet.html
Le 16 février 1999, Action Critique Médias recevait Ignacio Ramonet, universitaire, directeur du Monde diplomatique, auteur de La Tyrannie de la communication (éd. Galilée). Extraits
.
Trois sphères sont en train de fusionner : la sphère de l'information, celle de la communication (le discours publicitaire, la propagande, le marketing, les relations publiques...), et celle de la culture de masse, c'est-à-dire une culture soumise par définition aux lois du marché, et qui se soumet à la sélection du marché. Plus précisément, l'une de ces sphères, celle de la communication, absorbe les deux autres. Il est de plus en plus difficile de distinguer ce qui relève de l'information, de la communication ou de la culture de masse. De plus en plus, un discours publicitaire et un titre de journal sont imaginés sur le même principe : accrocher, prendre des licences parfois importantes par rapport au contenu. L'effet de communication compte plus que l'effet d'information. Ce qui compte c'est d'avoir un contact ? qu'il soit visuel ou sémantique, etc. ? avec celui qui lit.
1. Dans l'information, la communication ou la culture de masse, trois qualités sont recherchées:
- la simplicité
- la rapidité (des textes courts, des spots...)
- la distraction, l'amusement.
Ces trois qualités traditionnelles de la culture de masse ont colonisé peu à peu le discours du marketing, de la publicité et aujourd'hui les médias d'information, même les plus sérieux, gagnés par l'idée de séduire. Il faut faire le beau pour attirer le public. Sur le plan industriel, cette fusion correspond à la concentration. Quand, au début des années 70, le concept de communication a été rendu grand public par Mac Luhan, la communication était un domaine circonscrit. Aujourd'hui, on ne sait pas, au plan industriel, quelles sont les limites de la communication. Parce que sont venus dans le domaine des industries de la communication des industriels qui n'avaient pas une culture de la communication. Parmi les trois principaux groupes de communication, il y a un marchand d'armes (Matra), un marchand d'eau (Vivendi) et un marchand de béton (Bouygues). Aujourd'hui la communication se fait en grande partie à l'échelle planétaire et par les satellites, donc toutes les industries qui ont à voir avec les satellites font de la communication. L'espace de l'industrie de la communication s'est étendu. Trois machines à communiquer fusionnent en raison de la révolution numérique : téléphone, ordinateur et téléviseur. Les industries qui appartenaient à l'informatique relèvent de la communication. Sur le même écran, vous pouvez avoir à la fois du texte, du son, et de l'image, les trois éléments que le numérique transmet.
2. Trois autres caractéristiques de l'information.
- La surabondance : il n'y a jamais eu autant d'information à notre portée.
Mais la surinformation peut provoquer de la désinformation. Il existe une censure démocratique. La censure est une donnée structurelle de tout pouvoir. Actuellement, le système censure par surproduction, par asphyxie de celui qui consomme.
Dans la tradition humaniste et démocratique, on établit un lien entre la quantité d'information et la quantité de liberté. Au fur et à mesure que je réclame le droit de communiquer, que j'ajoute de l'information, cela va favoriser la liberté. Désormais, ajouter de l'information n'augmente pas la liberté. Peut-être allons-nous vers une société ou infinie information égale à zéro liberté. Cette surinformation agit comme une nouvelle forme de violence. On ne la voit pas comme cela car les sociétés occidentales sortent de périodes d'obscurantisme. Je pense que la communication est devenue une idélogie et un impératif : il y a obligation de communiquer. La communication remplace le paradigme du progrès. Le progrès avait pour objectif de pacifier les sociétés, c'est aujourd'hui la communication. C'est un lubrifiant social. Communiquer est un verbe intransitif dans la réalité : on ne communique pas pour dire quelque chose, on communique. L'objectif est de communiquer et le contenu est devenu très secondaire. Ce que les machines à communiquer nous enjoignent de faire, c'est de les utiliser. Donc la société accepte l'idée que la communication va prendre la place du progrès.
- La vitesse : C'est un des paramètres traditionnels de l'information. Une information rapide est toujours plus intéressante qu'une information lente. Aujourd'hui, nous avons atteint la vitesse maximale : celle de la lumière, c'est l'instantanéité. Quand on dit que le journaliste est l'analyste d'un jour, il y a encore dans ce mot un délai de 24 heures. Mais aujourd'hui les journalistes sont devenus des instantanéistes. Le journaliste est déjà de trop. Car la relation informationnelle était triangulaire, entre l'événement, le médiateur, et le citoyen. Mais dans le système actuel, les caméras de captation de l'information suffisent. Il n'y a plus que l'événement et le consommateur. L'information n'est plus une construction intellectuelle mais une transmission. Informer ce n'est pas répondre à des questions, c'est faire assister à l'événement. Le média pense faire de l'information contemporaine quand il donne à celui qui le consomme l'illusion d'assister à l'événement. CNN par exemple prétend nous montrer les événements en direct-live qui n'ont pas forcément du contenu. En presse écrite aussi on multiplie les reportages de terrain.
- L'information est essentiellement une marchandise : Donc elle est davantage soumise aux lois du marché qu'aux lois de l'information. La valeur d'une information ne dépend pas de la vérité mais du nombre de personnes susceptibles de s'y intéresser, de son marché. Cette loi est la vraie trieuse de l'information.
3. Trois fausses affirmations.
- Voir égale comprendre : plus un média me proposera en direct de l'information, plus je serai satisfait parce que j'aurai le sentiment d'avoir été moi-même le témoin de ce qui se passe. Jusqu'à présent, on essayait de faire de l'information en respectant un certain nombre de règles. Si l'information n'est pas une science, elle est censée s'appuyer sur des sciences humaines, comme par exemple la sociologie et l'histoire, qui permettent une approche construite.
Désormais, si l'information, c'est faire assister à l'événement, on s'appuie sur un genre télévisé : le sport en direct. On informe comme on montre un match, sur le même principe.
Voir c'est comprendre, c'est l'équation contre laquelle se sont élevés les rationalistes. Voir c'est comprendre, c'est le procès de Galilée, c'est l'illusion des sens. D'où tous les malentendus possibles, surtout à l'heure du virtuel, des images de synthèse, où voir du faux ne peut pas être distingué de voir du vrai.
- Y être suffit pour savoir: D'où l'idée qu'on n'a pas besoin des journalistes. Il suffit d'y être pour pouvoir témoigner. Un témoin est un journaliste, le bon journaliste est un bon témoin. Quand les radios en continu veulent agir sur l'instant, elles se précipitent sur le téléphone, trouvent quelqu'un qui parle français là où ça s'est passé, et lui demande. Et souvent la personne qui parle fait écho de ce qu'elle a elle-même entendu dire. Or un témoin ( ce terme vient d'un mot grec qui veut dire martyr ) n'est pas forcément un bon transmetteur de l'information. Dans un de ses films, Kurosawa montre comment cinq personnes vivant exactement le même événement, en proposent cinq versions totalement différentes. Etre témoin c'est être impliqué, happé par l'événement, donc c'est ne pas avoir de distance suffisante. Le temps médiatique est instantané, le temps de la réflexion est plus éloigné.
- Répéter c'est démontrer : Quand à propos d'un événement, tous les médias disent la même chose, c'est que c'est vrai. On l'a vu avec la guerre du Golfe, Maastricht ou l'euro.
Question: Va-t-on vers la fin du journalisme ?
I.R. Le système n'a plus besoin de journalistes. Les journalistes ont perdu leur spécificité. Il faut se fermer les yeux pour ne pas le voir. Entre 1850 et la fin du 19e siècle, c'était la seule profession qui avait le monopole de l'information de masse. Cette spécificité a disparu.
Aujourd'hui, toutes les institutions produisent de l'information, mais aussi tous les individus peuvent produire de l'information à l'échelle planétaire, avec Internet. Rien ne vous empêche d'ouvrir un site web chez vous ( si l'on excepte la limite économique, mais 20 000 francs vous suffisent pour pouvoir être relativement bien équipé ) et vous avez un média qui vous permet de parler au monde entier. Après tout, l'affaire Clinton-Lewinsky c'est Matt Drudge qui l'a sortie, et il n'était pas hyper-équipé, en tout cas moins que Newsweek (1)...
Les institutions, de tous ordres, politiques, économiques, culturelles, sociales, syndicales, etc. produisent de l'information. Très souvent cette information est pré-digérée pour les journalistes. Ce qui leur reste, c'est de diffuser cette information, mais seulement dans certains milieux, parce que, dans d'autres, les institutions s'en chargent. Les publications faites par des annonceurs, relativement bien, se multiplient. Les groupes qui possèdent les médias contrôlent les médias, non pas de façon primitive et primaire, pour faire de la communication sur ce qu'ils font, mais indirectement aussi pour ne pas nuire à ce qu'ils font. Déjà, beaucoup de journalistes travaillent pour des groupes. Ces groupes sont en mesure de contrôler la communication à la source. Le journaliste est là pour donner la caution d'une certaine objectivité pour un public innocent.
Non seulement ils sont en voie de disparition mais c'est souvent des alibis pris en otage pour diffuser une information qui sert les intérêts de tel ou tel groupe. C'est une vision noire mais je pense qu'on est dans le vrai. Je complète : dans de nombreuses capitales il y a déjà plus de journalistes qui travaillent pour des médias d'entreprises, de marques, d'institutions, d'annonceurs, des médias institutionnels, que de journalistes qui travaillent dans les grands médias.
Question: Dans un souci de productivité, le temps fait de plus en plus défaut aux journalistes. Pourquoi les grands groupes industriels dépensent-ils des fortunes colossales pour acheter telle entreprise d'information, alors qu'ils accordent aussi peu de temps aux journalistes ?
I.R. Les groupes qui cherchent à contrôler les médias en sont encore à croire que l'influence dans les esprits est proportionnelle à l'importance du média. Leur connaissance de ce qu'on appelle les effets en matière de réception est assez primitive et archaïque. Ils pensent qu'il peuvent gagner en capacité à manipuler les esprits. En réalité, l'expérience montre que c'est plus difficile.
Deuxièmement, posséder un média produit un prestige non négligeable. Dans TF1 un pouvoir, Pierre Péan a bien montré quel était l'objectif de Bouygues quand il a racheté TF1. A un moment, il négociait avec Balladur, entouré de ses conseillers. Ils avaient fait un audit de TF1, qui chiffrait la chaîne à telle somme. Les services du gouvernement en étaient arrivés à peu près à la même somme. Et Balladur avait dit à ses conseillers "ce sera ça, plus 20 %". Les conseillers de Balladur eux-mêmes avaient trouvé que c'était excessif. Quand on annoncé la nouvelle à Bouygues, les conseillers ont dit : "laissez tomber !". Bouygues a dit " c'est offert, c'est très bon marché, j'achète. Ce n'est pas une télé que j'achète, c'est un instrument d'influence " (2).
LCI a été créée sur le même objectif. 365 journaux télévisés du soir c'est insuffisant pour les milliers de décideurs qui font appel à beaucoup de béton. Il fallait une chaîne de télévision qui ne fasse que les recevoir.
Tout cela n'a rien à voir avec la communication mais avec l'idée que les décideurs se font de l'influence des médias. Des groupes peuvent comprendre qu'ils n'ont pas besoin des médias. Des groupes industriels ont des médias comme une danseuse. Un groupe médiatique (Murdoch, Time-Warner...), lui, fait de l'argent avec des médias, à condition de lui imposer les conditions de rentabilité qu'on applique à l'industrie. Aujourd'hui, les pratiques dans la communication sont exactement les mêmes que dans l'industrie : fusions entraînant licenciements, synergie... Ce n'est plus une industrie protégée comme faisant partie des acquis gagnés par la démocratie. Autrefois, c'était une sorte de pouvoir opposé aux pouvoirs obscurantistes, comme l'Eglise. Qui pense aujourd'hui que la presse c'est le contraire de l'Eglise "
Question: Plutôt que de disparaître, le journalisme n'est-il pas plutôt amené à muter " Plutôt que transmettre l'information, à la lire et à la relier ?
I.R. Le journalisme est un métier qui se transforme. Tout ce qui consiste à fuir dans l'instantanéité est apprécié par le public, mais quelle dimension de public ? Il faut accepter l'idée qu'on n'est pas obligatoirement un média de masse.
Certaines d'activités se pensent automatiquement comme devant être planétaires, permanentes, immédiates, immatérielles, ce que j'appelle le système 2p2i. Ce n'est peut-être pas nécessaire. Au moment où tout s'accélère, on a le droit de ralentir. C'est peut-être ce que demande une partie du public, un ralentissement, non pas par paresse mais pour prendre le temps de réfléchir. Le paradoxe est qu'on vit dans une société les plus cultivées de l'histoire de ce pays. C'est la même chose pour l'immense majorité des pays du monde. Jamais il n'y a eu autant de populations scolarisées, jamais il n'y a eu autant de diplômés dans toutes les disciplines. Pourquoi dans le même temps avons-nous les médias les plus médiocres ?
Une partie du public cherche un autre type d'information. Je pense par exemple qu'il y a beaucoup d'avenir, un vivier de production journalistique, pour tout ce qui est l'information sur l'information. La communication au sens large nous opprime tellement que quand on lit un livre comme celui de Serge Halimi (3), quand on regarde une émission de Schneidermann qui démonte un bidonnage ou un trucage, on est libéré, on se dit "ce texte ou cette émission me venge". Parce qu'on m'a trompé, pendant très longtemps, et que je ne peux pas me défendre. Pourquoi a-t-on créé tant de médiateurs ? D'ici dix ans il n'y aura pas un média sans médiateur, il faudra donc réfléchir à la fonction des médiateurs. Qui surveille les médiateurs ?
La crédibilité s'est effondrée, comme un régime qui n'est plus cru.
Aujourd'hui la démocratie médiatique ne fonctionne pas.
Dans l'audiovisuel on peut distinguer trois phases historiques de la crédibilité.
- Les actualités cinématographiques fonctionnaient sur le principe du documentaire à commentaire. Un commentaire est pléonastique par rapport aux images que chacun voit : " le maréchal Pétain est en train d'inaugurer " et on voit Pétain en train d'inaugurer. J'ai pris l'exemple de Pétain mais dans les régimes démocratiques c'était la même chose. On croit parce que la voix qui nous parle est anonyme. C'est la voix d'une allégorie, c'est la voix de l'information. Elle pénètre en moi, c'est la voix de Jeanne d'Arc, elle a une fonction théologique, la divinité information.
- Le journal télévisé. C'est le contraire : la voix anonyme laisse la place à la suridentification. C'est un monsieur ou une dame qui nous parle les yeux dans les yeux, on nous dit qui il est en sous-titre. Je le connais très bien parce que les journaux spécialisés nous racontent sa vie. D'ailleurs les enquêtes montrent qu'on choisit de voir tel ou tel journal télévisé en fonction du dégré de sympathie qu'on a avec le présentateur ou la présentatrice. C'est donc parce que j'ai un rapport d'intimité avec le présentateur ou la présentatrice que je crois ou je ne crois pas, parce que je me dis lui qui vient chez moi depuis dix ans ? vingt ans ? il ne peut pas me mentir. Il me dit qu'il parle avec Castro, je le crois ? ! (Rires dans l'assistance). Mais, aujourd'hui, il y a la troisième phase, parce que ça ne marche plus. Poivre d'Arvor, dès qu'il me regarde, on se dit quel hypocrite. Il ose encore me regarder après ce qu'il a fait... ?
- Aujourd'hui on croit CNN alors qu'elle ne me dit rien. On la croit parce qu'on a à faire à une sacrée machine technologique. Cette machine m'en met littéralement plein les yeux, elle dit "maintenant nous allons nous connecter avec Dhahran", et on voit Dhahran, "nous allons connecter avec Jerusalem", et on voit Jérusalem, et Washington, etc. On se dit : cette machine-là, qui a des caméras partout, qui a la puissance d'ubiquité de Dieu, il est évident qu'elle dit la vérité, on est obligé de la croire.
- Donc, en quarante ans, on est passé par trois formes de crédibilisation, ce qui prouve que des crédibilités s'effondrent, et aujourd'hui nous sommes devant l'effondrement massif de la crédibilité des médias, parce qu'il n'ont pas changé de registre. Et c'est pourquoi les journaux télévisés vont disparaître tels qu'ils existent, et ils disparaissent déjà, remplacés par des chaînes d'information continue.
(1) La rédaction de Newsweek disposait des premiers éléments d'information sur l'affaire mais elle avait décidé de ne pas les publier immédiatement pour se laisser le temps de les vérifier. Matt Drudge a récupéré ces informations et les a publiées sur son site Internet (note d'Acrimed).
(2) TF1, un pouvoir, Pierre Péan, Fayard, 1997.
(4) Les nouveaux chiens de garde, Serge Halimi, ed. Liber Raisons d'agir, 1997.
Source : http://acrimed.samizdat.net/bulletin/ramonet.html
© Centre de ressources
en éducation aux médias2003/ Nicole Pothier
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