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                              Les 
                              enfants sont fascinés par la télévision 
                              et l'audiovisuel
 Apprendre, un maître mot aujourd'hui ! Il 
                              y a tant de choses à savoir pour pouvoir 
                              se mouvoir à l'aise dans le monde complexe 
                              qui est le nôtre. Et les éducateurs 
                              sont constamment à l'affût de moyens 
                              pédagogiques qui rendent l'apprentissage 
                              des élèves plus agréable. Être 
                              attentif aux goûts des enfants est un moyen 
                              facile de connaître ce qui les intéressera 
                              en classe. Or, les enfants sont fascinés 
                              par la télévision et l'audiovisuel. 
                              Mais jusqu'ici ces médias ont surtout été 
                              considérés comme des outils pédagogiques. 
                              Ils sont pourtant plus efficaces encore lorsqu'ils 
                              sont utilisés comme objets d'étude.
 La 
                              télévision est devenue la première 
                              source d'informationAujourd'hui, la télévision est devenue 
                              la première source d'information des 
                              Canadiens. Le pédagogue, dont le rôle 
                              est de préparer le jeune à entrer 
                              dans l'univers des adultes, peut de moins en moins 
                              se passer des informations comme interface entre 
                              le monde des jeunes et celui des adultes. Or, selon 
                              des chercheurs en communication, si elles ne font 
                              pas l'objet d'une éducation, les images 
                              dures des informations pourraient " blesser 
                              " le téléspectateur plus que 
                              l'instruire. On commence à se pencher 
                              sur l'impact des drames des informations sur le 
                              téléspectateur, tout comme autrefois 
                              on s'interrogeait sur l'effet de la violence dans 
                              les films.
 L'interdiction, 
                              une protection passiveAvec l'arrivée successive des divers médias 
                              tout au long du vingtième siècle, 
                              on s'est interrogé sur les risques qu'ils 
                              représentaient pour l'équilibre 
                              psychique des enfants. L'apparition de la télévision, 
                              par exemple, a donné lieu à de grands 
                              débats sur ses hypothétiques effets 
                              pervers. Le premier réflexe des éducateurs 
                              consistait à interdire aux jeunes notamment 
                              l'accès aux films comportant des scènes 
                              de violence trop explicite. Puis celle-ci s'est 
                              tellement banalisée qu'il n'a plus été 
                              possible d'utiliser cette méthode passive 
                              de protection.
 
 Informer 
                              les jeunes sur la construction des images de la 
                              fiction
 Les éducateurs se sont alors tournés 
                              vers une forme de prévention active. Ils 
                              ont pris le parti d'informer les jeunes sur la 
                              construction des images de la fiction plutôt 
                              que de leur en interdire l'accès. Nous avons 
                              vu alors apparaître des reportages sur les 
                              techniques de création des effets spéciaux 
                              dans les films. Leur objectif consiste à 
                              faire comprendre aux enfants le caractère 
                              fictif des scènes de violence qu'ils voient 
                              dans les films afin qu'ils puissent ensuite 
                              se dégager plus facilement de l'émotion 
                              qu'elles génèrent. Pour ce faire, 
                              on démonte sous les yeux des jeunes les images 
                              simulant un accident de voiture, une chute du dixième 
                              étage, un meurtre où l'on voit le 
                              sang jaillir, etc. Ce démontage des images 
                              a comme effet de libérer les enfants du sentiment 
                              d'enfermement dans les émotions difficiles, 
                              parce qu'ils comprennent que ce n'est pas vrai, 
                              ce qui leur fait dire : " Ce sont juste des 
                              effets spéciaux. Je sais comment ils sont 
                              produits. "
 La solution n'est toutefois pas aussi simple lorsqu'il 
                              s'agit de l'émotion générée 
                              par les scènes dures des informations. 
                              Les enfants ne peuvent s'échapper aussi 
                              facilement de l'emprisonnement émotionnel 
                              parce qu'ils considèrent que les images sont 
                              vraies. Et certains théoriciens vont jusqu'à 
                              avancer que, parce qu'ils sont susceptibles de " 
                              blesser " le téléspectateur, 
                              les récits durs des actualités 
                              iraient à l'encontre de la mission des informations.
 L'angoisse 
                              l'avait saisie à l'écoute de cette 
                              nouvelle à la télévision !Des préadolescents ayant participé 
                              à une étude menée sur l'impact 
                              affectif des drames des informations sur les jeunes 
                              ont affirmé que les émotions générées 
                              par les images des actualités sont moins 
                              intenses que celles des films, mais plus désagréables 
                              parce qu'ils ignorent comment s'en débarrasser. 
                              Généralement, affirment-ils, l'oubli 
                              s'installe rapidement. Mais pas toujours.
 En effet, dix mois après le drame des 
                              marins russes morts emprisonnés dans leur 
                              sous-marin, une élève de onze 
                              ans raconte l'angoisse qui l'avait saisie à 
                              l'écoute de cette nouvelle à la télévision. 
                              Elle se mettait à la place des victimes 
                              et imaginait des scénarios pour échapper 
                              à l'angoisse d'une mort lente. Elle nous 
                              confia qu'elle aurait choisi le suicide. 
                              Son père dut ensuite user de beaucoup de 
                              patience et de toute sa capacité de persuasion 
                              pour la convaincre de prendre l'avion pour le Mexique 
                              afin d'y passer ses vacances.
 Cette fillette illustre une " blessure de l'information 
                              " qui apparaît sans crier gare, à 
                              la faveur d'un seul drame bien spécifique. 
                              Toutefois, la " blessure " la plus courante 
                              semble être celle qui se construirait sournoisement 
                              au fil des répétitions. L'indifférence 
                              en serait le symptôme majeur très répandu 
                              de nos jours.
 Les 
                              actualités, un spectacle du monde peu rassurant 
                              pour des jeunesMême si plusieurs années, voire plusieurs 
                              décennies, vous séparent de votre 
                              enfance, essayez de vous transporter en imagination 
                              dans la peau de vos six, huit, dix, douze ans ou 
                              davantage. Jour après jour, vous écoutez 
                              les nouvelles pendant le repas du soir. Des récits 
                              dramatiques vous parviennent de partout dans le 
                              monde. Il s'agit d'attaques imprévisibles 
                              au cur d'une ville, de catastrophes naturelles, 
                              de famines ou d'épidémies incontrôlables, 
                              qui toutes déciment les populations. Rappelez-vous 
                              le sentiment d'impuissance qui vous habite 
                              à cet âge-là. Vous espérez 
                              que vos parents vous protégent contre tous 
                              ces dangers. Mais vous les percevez aussi impuissants 
                              que vous. Le monde des adultes vers lequel vous 
                              vous dirigez vous semble hostile. Il vous fait peur, 
                              vous inquiète. Vous aimeriez pouvoir retarder 
                              le moment d'y pénétrer.
 Il n'est pas interdit de penser que l'image peu 
                              rassurante du monde que donnent les médias 
                              à des jeunes privés de toute éducation 
                              sur la construction des messages des informations 
                              soit l'un des facteurs qui désoriente 
                              les adolescents, au point que ceux-ci cherchent 
                              à se réfugier dans le divertissement 
                              à tout prix, les substances altérant 
                              la conscience ou parfois même le suicide.
 Les 
                              informations auraient-elles failli à leur 
                              mission ?L'information a de tout temps été 
                              considérée comme la pierre angulaire 
                              de la démocratie. Il suffit pour s'en 
                              convaincre de regarder la façon dont les 
                              régimes politiques autoritaires traitent 
                              les médias. Être informé 
                              signifie être en possession des données 
                              indispensables à la réflexion pour 
                              ensuite pouvoir s'engager dans l'action. Curieusement, 
                              maintenant que les informations foisonnent, nous 
                              assistons au contraire au désengagement 
                              des gens. Il semblerait donc que les informations 
                              manquent à leur mission, et nous nous interrogeons 
                              sur les raisons de cet échec appréhendé.
 Des 
                              analphabètes des médiasEn effet, en nous matraquant d'un discours qui privilégie 
                              les nouvelles spectaculaires, celles qui se vendent 
                              bien, les médias tendent à traiter 
                              les actualités comme de la fiction. L'individu 
                              qui considère que ce qu'il a vu aux informations 
                              est un reflet fidèle de la réalité 
                              a de fortes chances d'être un analphabète 
                              des médias. Par conséquent, si 
                              nous ne voulons pas que nos enfants soient les 
                              jouets crédules des médias, nous devons 
                              leur enseigner à lire les informations. 
                              Il s'agit d'une alphabétisation qui, 
                              de nos jours, est aussi indispensable que celle 
                              qui consiste à apprendre à lire et 
                              à écrire.
 Car si nous nous y refusons, les médias pourraient 
                              bien contribuer à faire de nos jeunes de 
                              futurs adultes " blessés " plutôt 
                              que des citoyens actifs. Certains chercheurs voient 
                              dans l'indifférence des gens un symptôme 
                              de " blessure ", un réflexe 
                              pour se protéger des sentiments désagréables, 
                              tels ceux de victime, d'impuissance, de tristesse, 
                              de désarroi, d'inquiétude, de dégoût, 
                              suscités par les drames des informations.
 Apprendre 
                              des informations sans risque de " blessure 
                              "Les enfants prennent les informations pour des témoignages 
                              véridiques de ce qui se passe dans le monde. 
                              De plus, ils se perçoivent généralement 
                              comme des victimes potentielles de ce qu'ils voient 
                              aux actualités. Ce qui revient à dire 
                              que les jeunes ont de la difficulté à 
                              prendre de la distance par rapport aux actualités, 
                              attitude qui peut être source de malaise affectif.
 Mais les moyens d'y échapper existent, selon 
                              les chercheurs. Il s'agit de stratégies actives 
                              pour que le spectateur reprenne sa liberté 
                              par rapport aux images. En voici trois :
 
  Communiquer ses émotions en parlant 
                              de ce que l'on voit et en contrôlant le déroulement 
                              et le choix des images. 
  Décoder les messages par une éducation 
                              aux médias. 
  Agir en s'engageant dans une action personnelle 
                              ou collective. La 
                              parole soulageAvoir du contrôle sur les images signifie 
                              pouvoir les manipuler. Cette action est libératrice 
                              pour deux raisons principales. Tout d'abord, " 
                              repasser " ou " sauter " à 
                              son gré des scènes de l'actualité 
                              revient à avoir du pourvoir sur ce que l'on 
                              voit. Une distance s'installe alors entre le 
                              spectateur et les scènes qui se déroulent 
                              devant ses yeux. Ensuite, le fait de voir et de 
                              revoir les images qui le dérangent permet 
                              à l'élève de refaire intérieurement 
                              le chemin jusqu'à l'origine de l'émotion 
                              difficile afin de comprendre ce qui l'affecte tant. 
                              Ce jeu avec l'image suppose donc deux conditions 
                              : d'une part, que les informations soient enregistrées 
                              sur cassette vidéo, et d'autre part, que 
                              l'enfant puisse parler à un adulte présent. 
                              Lorsque des informations ou des images nous agressent, 
                              en parler apporte déjà un début 
                              de solution à notre malaise.
 Décoder 
                              les informations et les images par l'éducation 
                              aux médiasPlus qu'une simple acquisition des connaissances, 
                              l'éducation aux médias est précisément 
                              un moyen d'éduquer à la vie, surtout 
                              parce qu'elle favorise chez les élèves 
                              le développement de l'esprit critique. 
                              Nous savons que l'ignorance ou la mauvaise interprétation 
                              de ce qui se passe est fréquemment source 
                              de blessure. Puisque la connaissance des techniques 
                              des effets spéciaux dans la fiction libère 
                              les enfants des émotions difficiles, la 
                              connaissance de la construction des messages des 
                              informations télévisées aura 
                              probablement sur eux le même effet libérateur.
 Une école qui incite les élèves 
                              à prendre les informations pour ce qu'elles 
                              sont, c'est-à-dire non comme un miroir de 
                              la réalité mais plutôt comme 
                              une représentation de celle-ci, développe 
                              l'esprit critique et le jugement des jeunes. 
                              Sensibiliser les élèves aux perspectives 
                              adoptées par les différentes chaînes 
                              télévisées ouvre l'esprit des 
                              enfants à la réflexion. Ceux-ci tendront 
                              à devenir des adolescents et des adultes 
                              moins crédules, autrement dit capables de 
                              se forger une opinion personnelle. Une école 
                              qui donne la possibilité aux élèves 
                              d'agir sur les messages en jouant avec différentes 
                              perspectives enseigne la diversité des points 
                              de vue et le pouvoir de l'engagement personnel.
 L'action 
                              libèreQuant à l'action personnelle, les chercheurs 
                              la préconisent sous forme d'activité 
                              bénévole dans l'environnement immédiat 
                              de l'enfant. Agir autour de soi, dans un esprit 
                              de gratuité, a pour effet de contrer le sentiment 
                              d'impuissance. De plus, l'action bénévole 
                              habitue le jeune à répondre aux agressions 
                              de la vie non par la passivité mais par l'engagement 
                              personnel. Il s'agit d'une forme d'éducation 
                              à la solidarité humaine.
 Une 
                              véritable école pour la vieEn bref, l'éducation aux médias protège 
                              le jeune téléspectateur des malaises 
                              affectifs générés par les nouvelles 
                              dramatiques en favorisant l'intégration 
                              des images difficiles des informations dans son 
                              psychisme. Autrement dit, au lieu de " 
                              blesser " l'individu, les images et les récits 
                              des drames de l'actualité viennent s'associer 
                              à ses expériences pour enrichir sa 
                              personnalité. Les informations sont aussi 
                              une occasion offerte aux élèves de 
                              prendre possession de leur liberté 
                              sans céder à la tentation de les ignorer 
                              ou de se replier sur eux-mêmes. L'éducation 
                              aux médias fait donc de l'école une 
                              véritable école pour la vie.
 Marie-Claude 
                              Coppex-Mudry
 Marie-Claude Coppex-Mudry est membre du Centre de 
                              ressources en éducation aux médias 
                              (CREM). Elle a uvré comme enseignante 
                              en Suisse pendant plusieurs années, où 
                              elle a d'abord travaillé avec des enfants 
                              de 10 ans, puis des jeunes entre 16 et 18 ans et 
                              enfin des adultes. Elle a ensuite changé 
                              d'orientation et a entrepris des études universitaires 
                              au Québec en rédaction et lettres 
                              françaises et en rédaction-communication.
 BIBLIOGRAPHIE
 
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                              les jeunes : le cas de RDI junior, Mémoire 
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                              rendent-ils les jeunes violents ? Paris, Armand 
                              Colin, 2000.
 
 
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